Favoriser l’acquisition du vocabulaire par la création d’univers en contexte multidisciplinaire
Introduction
Alors que le paysage éducatif continue de se transformer, il devient de plus en plus évident que les méthodes traditionnelles ne suffisent plus. Il est de notre responsabilité de préparer nos élèves à réussir dans un monde en constante évolution. Cela signifie repenser la structure de nos salles de classe et réinventer notre enseignement.
Dans cet article, nous explorerons de plus près la démarche de Caroline Leclerc, enseignante au premier cycle à l’école Oraliste de Québec. En créant des univers thématiques pour ses élèves malentendants ou vivant des difficultés importantes sur le plan langagier, elle augmente leur engagement et favorise l’acquisition du vocabulaire. Découvrez comment vous pouvez vous inspirer de ses pratiques pour soutenir tous vos élèves.
L’école Oraliste et ses élèves
Cette école a été fondée il y a un peu plus de 20 ans par une équipe de scientifiques de l’Université Laval qui s’intéressait à la scolarisation des enfants ayant des problèmes auditifs ou langagiers afin de développer une expertise en intervention ciblant la communication orale seulement (pas de langage signé).
En travaillant avec cette clientèle, le personnel enseignant a rapidement constaté qu’un des grands défis était l’acquisition des fondements de la lecture et de l’écriture (syntaxe, vocabulaire, connaissances sur le monde, inférences).
Comment les élèves peuvent comprendre un texte contenant des phrases complexes, sans être en mesure de produire des phrases simples complètes?
Comment comprendre un texte en ayant très peu de vocabulaire, sans pouvoir faire de liens entre les composantes essentielles des récits que l’adulte lit?
La construction du langage est une priorité pour la réussite scolaire. Comment faire progresser plus rapidement les enfants ayant un retard majeur? Comment les amener à produire des phrases simples et complètes, à produire avec soutien des phrases complexes, à expliquer en trouvant les mots exacts, à enrichir leur vocabulaire, à prononcer convenablement les mots pour enfin être capables de bien les écrire?
Un grand défi pour les enseignantes travaillant avec des enfants malentendants, sourds ou en trouble langagier est de trouver une façon efficace d’intervenir pour les aider à construire leur langue.
« On apprend à parler… en parlant! »
Rapidement, l’idée de créer des classes à petits ratios favorisant la construction de la langue par la discussion a vu le jour. À l’école Oraliste, il y a entre 2 et 7 élèves par classe, ce qui permet à chacun d’avoir constamment son tour de parole.
Incursion dans la classe de Caroline Leclerc
Caroline Leclerc nous a accueillis dans sa classe afin que nous puissions être témoins de ses interventions auprès de ses élèves de 1re et 2e année. Cette enseignante plonge ses élèves au cœur d’univers thématiques afin de les engager, de contextualiser le vocabulaire et d’augmenter leur exposition aux nouveaux mots.
N’utilisant pas de cahiers pour la majorité des matières, elle planifie plutôt en partant d’un univers ou d’une thématique lui permettant de construire les compétences des élèves en lecture, en écriture, en math, en ECR (et même en anglais). C’est un peu une continuité de ce qui se fait fréquemment dans les classes de maternelle, puisqu’elle construit des univers concrets et tangibles dans sa classe. Lors de notre visite, nous avons voyagé à l’époque médiévale! Auparavant, les élèves ont exploré l’époque de la préhistoire.
Tous les jours, les élèves reçoivent un message d’un personnage fictif pour commencer la journée et lisent tous ensemble. Ce personnage voyage à l’aide d’un coffre magique et invite les élèves à le rejoindre dans ses aventures adaptées selon leur âge et leur niveau. Par exemple, cela peut être les animaux de la forêt, le monde marin, le monde polaire, l’Égypte ancienne…
Une pratique inclusive
La classe est transformée au fur et à mesure que les connaissances des élèves augmentent sur cet univers. Par exemple, lors de notre visite, il y avait un château fort et une ruche de la famille royale construits par les élèves au fil de l’univers. Bien que le coin lecture regorge de documentaires et de récits sur la thématique abordée, l’approche multidisciplinaire va au-delà de la lecture et de l’écriture. Les élèves manipulent, créent, voient, touchent et vivent dans l’univers abordé. Pour des élèves ayant des lacunes sur le plan langagier (et tous les autres), cela permet vraiment de contextualiser le vocabulaire (construire un pont-levis, le voir, l’entendre dans des albums, l’utiliser lors de période de jeux libre, etc.) et permet une acquisition solide d’un mot abstrait pour des jeunes n’en ayant jamais vu.
Les enfants sont très motivés et engagés dans ces apprentissages. L’idée est de les placer dans un bain de langage afin d’améliorer leur capacité à expliquer pour prendre plus de risques linguistiques en tentant de produire des subordonnées variées, de reprendre des expressions figées (avoir l’estomac dans les talons, prendre son courage à deux mains) ou de réutiliser des mots nouveaux.
Une approche multidisciplinaire
De nos jours, nous voyons plusieurs enseignantes créer des projets interdisciplinaires au Québec. Toutefois, il est fréquent que ces projets englobent la lecture et l’écriture et l’univers social, ou toute autre matière. Toutes les matières enseignées, en tout temps, sont plongées dans la thématique du moment. Voici des exemples récoltés lors de notre visite, qui illustrent ces propos :
Tous les jours, chaque élève poursuit l’écriture de son histoire médiévale et fait les dessins pour l’illustrer, devenant auteur.e et illustrateur.rice. C’est un travail de longue haleine où l’enseignant.e donne beaucoup de soutien et prend même le crayon lors de courts moments d’écriture partagée. Une fois terminé, le texte est ensuite corrigé et réécrit par l’adulte à l’ordinateur qui en fait une copie pour la bibliothèque de classe afin que les autres puissent lire l’histoire, ainsi qu’une copie personnelle que l’enfant peut rapporter à la maison.
Cette manière de faire amène les enfants à s’inspirer des éléments des documentaires, des albums et des romans pour créer leur propre histoire. Le récit permet de mettre à l’écrit ce qu’il sait raconter à l’oral, d’apprendre le code (les sons complexes et les régularités orthographiques), de réinvestir les connaissances et le vocabulaire sur le sujet tout en construisant une histoire avec toutes les composantes essentielles.
Avec le message journalier lu par tous les élèves, Caroline tente de trouver une manière de faire réfléchir les enfants, d’émettre des hypothèses, de complexifier leur pensée, de faire des liens avec leurs connaissances, de découvrir des mots nouveaux, de se comparer, de comprendre comment les gens vivaient à l’époque médiévale. Par exemple, lors de notre visite, le personnage a rencontré l’armurier qui lui a fabriqué un heaume de chevalier. Avec cette situation, Caroline place ses jeunes dans un contexte devant utiliser des phrases complexes et un vocabulaire riche, précis et varié. L’enseignante les accompagne en les aidant à trouver les bons mots, à produire la syntaxe adéquate, à reformuler leurs idées, à prononcer adéquatement certains sons pour être bien compris.
Caroline fait aussi la lecture partagée de petits romans médiévaux en équipes pendant que les autres élèves font de la lecture autonome à l’intérieur du château fort. Son but est de questionner les enfants au fur et à mesure pour les amener à rester en activité pour chercher le sens de leur lecture et en même temps pour expliquer leur compréhension, afin de les amener à inférer les mots nouveaux, à prédire la suite de l’histoire et faire des liens entre les composantes. Au travers des lectures quotidiennes, les jeunes sont exposés à nouveau au vocabulaire lié à la thématique et cela renforce leur acquisition.
Toutes les créations (château, ruche, casque de chevalier) pour construire l’univers demandent aux enfants de travailler divers concepts mathématiques et de résoudre des problèmes sans papier ni crayon :
Acheter la peinture pour peindre les briques du château a permis de travailler le concept de monnaie et les opérations d’addition et de soustraction ;
Devenir palefrenier.ère pour estimer et mesurer la herse et le pont-levis en m, dm, cm a permis de travailler les mesures ;
Le concept de fraction a été vu de diverses façons au travers la thématique, peindre le quart des douves du château en bleu, fabriquer un drapeau à hisser avec une poulie (partager le drapeau en moitié, en quart, en huitième), nourrir les bébés faucons en partageant les souris chassées, etc.
Les machines simples ont été abordées : plan incliné, poulie (pour aller chercher l’eau du puits, soulever les lourdes briques et hisser le drapeau), la roue (brouette en bois, charrette), etc. Vivre ces situations concrètes est engageant et favorise l’acquisition du langage chez les élèves.
Les enfants se costument (vêtements de boulangerie, de fauconnière, de prince, de reine, d’armurier) et doivent inventer le scénario d’une pièce de théâtre ensemble avant de commencer à la jouer et interagir.
En conclusion
Cela demande à Caroline d’être très créative et de bien connaître le PFEQ, ce qui lui permet de s’assurer qu’elle développe toutes les compétences nécessaires chez ses élèves. Malgré ce défi, elle est reconnaissante de la grande latitude que lui offre cette façon de travailler et des progrès remarquables que ses élèves font quotidiennement sur le plan du langage.
Et vous, comment pourriez-vous vous inspirer de ces créations d’univers pour soutenir tous vos élèves?
Ressources pour aller plus loin
Un peu plus sur l'autrice
Détentrice d’un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale, Marie-Philippe a travaillé en classes spécialisées ainsi qu’en orthopédagogie en milieux scolaires et privés. Présentement gestionnaire et créatrice de contenus à l’Institut des troubles d’apprentissage du Québec, elle satisfait sa curiosité professionnelle en collaborant avec des experts et pédagogues passionnés. Consultante pour l’entreprise ALEO VR, Marie-Philippe conçoit des jeux visant à rééduquer les troubles spécifiques en lecture grâce à la réalité virtuelle. Elle a également fondé l’entreprise ScolAide qui vise à outiller le plus grand nombre d’enseignants et d’élèves en difficulté par le biais de conférences, consultations, capsules vidéos et documentation en ligne. Passionnée de littérature jeunesse et récipiendaire du prix Étincelle de reconnaissance en lecture du MEES, elle a complété un microprogramme en didactique cognitive des difficultés d’apprentissage de la lecture-écriture à l’UQAM et collabore au blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse.