Témoignage : soutenir tous les élèves… jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine!
Introduction
La répartition des services aux élèves ayant des défis d’apprentissage peut devenir un défi en région éloignée, que ce soit en lien avec le manque de spécialistes, le nombre d’écoles à desservir ou la réalité des jeunes dans les classes. Toutefois, à l’école secondaire des Îles-de-la-Madeleine, l’esprit d’innovation des enseignants et des spécialistes se traduit par la mise en place d’initiatives remarquables visant à soutenir efficacement un maximum d’élèves dans l’archipel. Il faut dire que les élèves réussissent particulièrement bien aux Îles! Quel est leur secret? À l’image des Madelinots, vous constaterez que l’entraide, le partage et la collaboration sont au cœur de la réussite des projets qui visent à soutenir le plus grand nombre d’élèves. Merci à Annick, Annabelle et Katia qui m’ont chaleureusement reçue lors de ma dernière visite.
Repenser la formation des groupes classes
La problématique est que les classes sont de plus en plus hétérogènes et que les élèves qui nécessitent du soutien sont dispersés dans de nombreux groupes, réduisant l’efficacité des interventions de l’orthopédagogue qui dispose de moins de temps pour chaque élève.
À la Polyvalente des Îles, quatre orthopédagogues à temps plein soutiennent les quelque 430 élèves. Elles interviennent principalement en français et mathématique.
Afin de maximiser son temps auprès des élèves, Katia, une des orthopédagogues, s’est questionnée sur l’impact des interventions en sous-groupes dans son bureau par rapport à celles faites en classe. En effet, elle a rapidement constaté qu’en collaborant directement avec les enseignants dans leur classe, il y avait davantage de bienfaits.
Coordonner ses interventions;
Assurer une cohérence dans le matériel;
Partager les tâches (entre spécialiste du contenu et spécialiste des stratégies);
Créer des sous-groupes de besoin sans stigmatiser les élèves;
Planifier en équipe pour cibler des interventions efficaces;
Diviser la charge de travail en deux, permettant d’oser changer les pratiques;
Conseiller ses collègues pour favoriser la différenciation et l’accès aux mesures d’aide pour tous les élèves selon les principes de la conception universelle de l’apprentissage (CUA).
Un cours offert à 100 % en coenseignement
Le manque de temps pour intervenir auprès de tous les groupes restait un obstacle majeur. En mathématiques, les élèves sont divisés en groupes selon leur parcours, facilitant ainsi des interventions ciblées. En français, où il n’y a pas de niveaux différenciés, les élèves sont dispersés. Katia et l’enseignante de français de secondaire 4 ont décidé de regrouper tous les élèves ayant un plan d’intervention dans une même classe. De cette manière, l’orthopédagogue n’intervient que dans cette classe, à plus grande fréquence. En fait, 100 % des cours de français, pour ce groupe, se font en coenseignement entre l’enseignante et l’orthopédagogue.
La perception des élèves
J’ai demandé à Katia comment ont réagi les élèves en réalisant faire partie de ce groupe plus faible en français. Elle m’a répondu qu’une grande discussion à cœur ouvert en début d’année avait eu lieu afin de mettre cartes sur table. Tant du côté de l’enseignante que des élèves, les forces et les défis sont mis de l’avant et, selon Katia, les élèves sont bien au courant de leurs défis en secondaire 4. L’enseignante les conscientise au fait qu’elle et l’orthopédagogue ont volontairement choisi de leur enseigner cette année, ce qui joue sur la motivation des élèves.
Valeur ajoutée : le changement de paradigme chez l’enseignant!
On pourrait penser que regrouper les élèves en difficulté va à l’encontre de la pédagogie inclusive. Pourtant, ce n’est pas le cas. En testant avec l’orthopédagogue des pratiques universelles, comme répondre à l’oral, utiliser le numérique pour rendre les documents accessibles, travailler par ateliers ou en morcelant les tâches, l’enseignante a découvert que ces pratiques bénéficient également aux groupes plus avancés. Ces mesures sont désormais offertes à tous les élèves :
Les documents sont souvent présentés de deux façons (tableau ou carte conceptuelle).
L’orthopédagogue a créé des séquences d’enseignement via la classe inversée.
Grâce à cette collaboration, les enseignants soutiennent mieux leurs élèves, l’orthopédagogue est bien accueillie en classe, et les élèves progressent.
L’initiative le Tremplin : soutenir les élèves ayant des difficultés ponctuelles
La problématique est que plusieurs élèves rencontrent des défis scolaires importants, mais ponctuels, qui sont souvent dus à des problèmes socioaffectifs affectant leur disponibilité aux apprentissages et leur réussite scolaire. Comment soutenir ces élèves?
À la Polyvalente des Îles, les enseignants transmettent les cas nécessitant du soutien au comité d’analyse, qui veille à ce que toutes les mesures d’aide soient mises en place. Depuis deux ans, plusieurs élèves bénéficient du service Tremplin, qui vise à soutenir les élèves rencontrant des troubles d’adaptation, des difficultés comportementales, motivationnelles ou des enjeux de santé mentale. Ce service, plus individualisé, intervient après que des mesures de niveaux 1 et 2 aient été tentées.
Voici quelques photos du local Tremplin, un espace calme et apaisant où les élèves ont leur propre bureau.
Comment fonctionne ce service?
Une orthopédagogue et une psychoéducatrice sont présentes dans le local du Tremplin en tout temps. Elles reçoivent les élèves le matin avant les cours pour les aider à s’organiser et planifient la journée avec eux. Tous quittent ensuite vers leurs classes respectives. À différents moments durant la journée, souvent après une période d’enseignement magistral en classe, plusieurs élèves reviennent consolider leurs apprentissages avec Annabelle, orthopédagogue, qui outille les jeunes et renforce le transfert de stratégies. La psychoéducatrice profite de certains moments pour organiser des ateliers divers (estime de soi, gestion des émotions, etc.). Comme son nom l’indique, le Tremplin est un service se voulant temporaire. Il combine la gestion de l’affectif de l’élève pour lui permettre de rattraper son retard d’apprentissage ponctuel et de gagner en autonomie. En aucun cas, ce programme vise à le maintenir à l’extérieur de la classe. D’ailleurs, dans le plan d’intervention de l’élève, des objectifs sont indiqués quant au retour en classe à la suite de cet accompagnement.
Environ 8 élèves de secondaire 1 à 5 sont ciblés à la fois pour ce service. Plusieurs se présentent au local Tremplin maintes fois par jour alors que d’autres sont de plus en plus autonomes et nécessitent moins de soutien de la part des deux professionnelles. Il demeure néanmoins que, pour Annabelle, soutenir les élèves de 5 niveaux scolaires dans plusieurs matières à des moments parfois non planifiés (si un élève se désorganise) demande une grande collaboration avec les enseignants. Heureusement, à la Polyvalente des Îles, les enseignants déposent leur planification hebdomadaire sur une plateforme de partage commune, ce qui facilite grandement le travail de l’orthopédagogue.
À l’école secondaire des Îles-de-la-Madeleine, l’innovation et la collaboration permettent de surmonter les défis posés par la répartition des services aux élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Grâce à des initiatives comme le coenseignement en français et le service Tremplin, les élèves bénéficient d’un soutien efficace et inclusif, favorisant leur réussite académique et personnelle.
Un peu plus sur l'autrice
Détentrice d’un baccalauréat en adaptation scolaire et sociale, Marie-Philippe a travaillé en classes spécialisées ainsi qu’en orthopédagogie en milieux scolaires et privés. Présentement gestionnaire et créatrice de contenus à l’Institut des troubles d’apprentissage du Québec, elle satisfait sa curiosité professionnelle en collaborant avec des experts et pédagogues passionnés. Consultante pour l’entreprise ALEO VR, Marie-Philippe conçoit des jeux visant à rééduquer les troubles spécifiques en lecture grâce à la réalité virtuelle. Elle a également fondé l’entreprise ScolAide qui vise à outiller le plus grand nombre d’enseignants et d’élèves en difficulté par le biais de conférences, consultations, capsules vidéos et documentation en ligne. Passionnée de littérature jeunesse et récipiendaire du prix Étincelle de reconnaissance en lecture du MEES, elle a complété un microprogramme en didactique cognitive des difficultés d’apprentissage de la lecture-écriture à l’UQAM et collabore au blogue J’enseigne avec la littérature jeunesse.